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BIODIVERSITÉ ET SANTÉ : pourquoi tout est lié ?

Publié le 17 octobre 2022

Alors que la Covid-19 n’en finit pas de nous tourmenter, la journaliste Marie-Monique Robin alerte sur les causes environnementales qui expliquent l’émergence de nouveaux virus.

Comment en êtes-vous arrivée à vous interroger sur les pandémies ?

Marie-Monique Robin : En janvier 2020, j’ai lu un article du New York Times qui disait que nous sommes, nous, humains, à l’origine de la pandémie que nous connaissons depuis deux ans. J’ai interviewé une centaine de scientifiques, qui m’ont expliqué le lien entre l’impact des activités humaines sur les écosystèmes et l’émergence de maladies infectieuses d’origine zoonotique, c’est-à-dire animale.

Les zoonoses sont-elles réellement en augmentation ?

la variole par la vaccination en 1980, on a cru que les maladies infectieuses relevaient désormais de l’histoire ancienne. On a fermé progressivement les laboratoires de virologie et les préoccupations sanitaires se sont tournées vers les pathologies chroniques : cancers, maladies cardiovasculaires… Pourtant, la liste est longue des virus qui ont émergé brutalement, même s’ils n’ont pas provoqué d’épidémies pour autant : Ebola en 1976, le VIH en 1981 (qui circulait depuis de nombreuses années), et le premier SARS en 2003, le chikungunya, le MERS-CoV… Jusqu’en 1970, l’Organisation mondiale de la santé recensait une maladie infectieuse émergente tous les quinze ans. Cette fréquence est aujourd’hui de une par an. Et si on le compare à d’autres, le coronavirus qui nous préoccupe tant aujourd’hui est un virus très peu mortel.

Quels sont les principaux facteurs qui expliquent cette augmentation ?

M.-M. R. : Ils sont multiples : déforestation, agriculture et élevages intensifs, globalisation… Le cas du virus Nipah en est l’exemple même.

Fin 1990, on a brûlé la forêt tropicale primaire de Bornéo pour y installer des monocultures de palmiers à huile, faisant ainsi fuir les chauves-souris qui y vivaient. Or ces mammifères, porteurs sains de nombreux agents pathogènes, excrètent les virus lorsqu’ils se trouvent en situation de stress, dû par exemple à la destruction de leur habitat. Les chauvessouris frugivores se sont rabattues sur les côtes de Malaisie, où était implantée une monoculture de manguiers, audessus de fermes porcines à ciel ouvert. Elles ont mangé les mangues et contaminé par leurs excréments les cochons, qui sont tombés malades, suivis bientôt par les ouvriers agricoles. Le coupable était un nouveau virus, appelé Nipah (du nom de la localité). La Malaisie étant un pays musulman, les cochons étaient destinés au marché chinois. Ils ont, à leur tour, contaminé les ouvriers des abattoirs de Singapour.

Quel est le lien entre biodiversité et risque de maladies infectieuses?

M.-M. R. : Les agents pathogènes potentiellement dangereux pour les humains sont nombreux dans les zones tropicales à forte densité animale et végétale. Faut-il pour autant les raser pour limiter les problèmes ? Certainement pas. Comme l’a montré le chercheur Serge Morand, les cartes de la déforestation en Asie et dans le Pacifique se superposent avec celles des espèces animales menacées de disparition et celles des foyers infectieux émergents. Ainsi, plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, mais moins de biodiversité conduit à davantage de maladies infectieuses : c’est un constat complètement contreintuitif, qui s’explique par l’«e!et dilution ». Ce mécanisme a été mis au jour par deux scientifiques américains qui ont travaillé sur la maladie de Lyme, véhiculée par certains rongeurs. Lorsque les forêts sont fragmentées par les activités humaines (routes, maisons, champs…), les rongeurs dits «spécifiques » qui sont liés à certaines niches écologiques disparaissent, de même que leurs prédateurs, laissant proliférer d’autres rongeurs dits « généralistes», capables, eux, de s’adapter aux modifications de leur environnement et de leur alimentation. C’est ainsi qu’ont proliféré dans l’État de New York les souris à pattes blanches, porteuses de la bactérie Borrelia burgdorferi… qui transmet la maladie de Lyme. Dans les forêts morcelées, les souris à pattes blanches sont donc plus nombreuses, les tiques davantage infectées… et le risque de contamination à l’homme est cinq fois plus important. L’e!et dilution fonctionne aussi pour les maladies vectorielles comme le paludisme : en Amazonie, où coexistent plus de 600 espèces de moustiques, le risque d’être piqué par les deux seules espèces qui transmettent le paludisme aux humains est limité. Dans les faits, la diversité diminue le risque.

Vous insistez également sur le rôle de la pauvreté…

M.-M. R. : C’est une question capitale, car la pauvreté crée une très grande pression sur les zones à forte biodiversité, notamment sur les forêts, tout simplement parce que les gens ont besoin de se nourrir. Les inégalités sur la planète contribuent ainsi à la déforestation, donc au risque d’émergence de maladies ainsi qu’au dérèglement climatique. Il est impératif de s’attaquer à ce problème.

La diminution de la biodiversité nous rend également plus vulnérables aux agents infectieux. Grandir au contact d’une faune et d’une flore riches et variées enrichit notre microbiote et fortifie notre système immunitaire. Cela explique que les villageois des zones rurales en Afrique ou en Asie aient été très peu touchés par la Covid-19, ou que, dans les pays industrialisés, nombre de personnes ont succombé en raison de facteurs de comorbidité, comme le diabète ou l’obésité. Pour résumer, la destruction de la biodiversité provoque l’émergence de nouveaux foyers infectieux dans les pays tropicaux et, dans nos pays occidentaux, elle nous rend plus vulnérables à ces virus.

Santé et économie sont donc intimement liées…

M.-M. R. : Le modèle prédateur de notre économie est en train de détruire la biodiversité et de déréguler complètement le climat tout en augmentant le fardeau sanitaire. La sixième extinction des espèces a commencé et c’est une catastrophe. Or nous, humains, ne sommes qu’une espèce de mammifères parmi d’autres. Nous devons véritablement nous réinterroger sur notre place dans la grande chaîne du vivant. La biodiversité n’est pas un supplément d’âme. Elle est « notre maison commune » pour reprendre les mots du pape François, et nous en avons besoin pour vivre. Nous devons revoir notre mode de vie, notre rapport à l’environnement et notre modèle économique. La course à la croissance et à la consommation conduit l’humanité à sa perte à grande vitesse. Je suis inquiète pour les générations qui nous suivent.

Comment agir, de façon individuelle ou collective ?

M.-M. R. : Les organisations onusiennes promeuvent actuellement un nouveau paradigme : One Health (« une seule santé »), qui dit qu’on ne peut plus séparer la santé des écosystèmes, la santé des animaux – sauvages et domestiques – et notre santé. Pour aller plus loin, je lui préfère le concept, encore plus global, de « santé planétaire», qui repose sur l’idée qu’il faut absolument cesser de disconnecter les activités industrielles, agricoles, sanitaires… car tout est lié. Sur le plan personnel, chacun doit s’interroger sur son mode de vie. Je constate une prise de conscience croissante des enjeux au niveau citoyen et je suis impressionnée par l’engagement des jeunes, mais ne nous leurrons pas : nous ne ferons pas l’économie de politiques majeures pour mettre en place des mesures structurantes e#caces. Il faut tout repenser et agir maintenant, car nous n’avons plus de temps. Oubliez les réponses technologiques aberrantes. Je suis convaincue que les solutions ne peuvent venir que d’une remise en cause profonde de notre rapport à la nature.